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veilleuse émerveillée
11 octobre 2016

quand la fin doit se parler....

Comment trouver les bons mots, comment dire, comment emmener l'autre ? 

Je pense à ceux que j'ai déjà accompagné, je pense à celui que je n'ai pas pu accompagner. Je tâtonne. Auprès d'elle, petite poucette je cailloute depuis quelques temps. très très délicatement, tout doux - tout doux. ça ne se perçoit pas pour qui ne sait voir ou entendre, mais je cailloute. Je sens bien que ça se rapproche et qu'il va falloir à un moment donné mettre en mots. Depuis des mois je mets en mots pour lui permettre de trouver sa voix. Retrouver sa voix et sortir les mots nécessaires. Ceux qui font qu'une fois sortis de soi on peut se regonfler et retrouver la légèreté qui rend la vie joyeuse.Mais là je sens que je bloque.  Pourtant il faut penser à la suite, à la fin, à l'après. Il y a des choses à mettre en place, à prévoir. Pour que cet accompagnement continue à être intelligent.

Arrivée à mon maximum de ce que je peux faire seule (seuil d'incompétence ? d'inexpérience ? d'intolérance ?) je sens qu'il me faut désormais être aidée. Un peu comme à qui veut gagner des millions. Appel à un ami ou au public, joker ? Je choisis dans l'équipe celui que je sens le plus compétent, le plus fin, le mieux armé. Le merveilleux docteur avec qui je partage mes questionnements. Je l'informe du fait que la question de la fin n'a pas vraiment été abordée de manière claire. une simple information dont je me dis qu'il fera ce qu'il sait bon. Il a l'habitude. à la seconde où j'arrive à formuler un message à ce médecin grand poucet, je me sens soulagée. Je vois à quel point les mots sont magiques.

Le lendemain, il est là. Elle est dans son canapé. Il est assis, sur un petit tabouret rond en fer, juste en face très pres. Ce jour là, la télé n'est pas encore allumée. C'est la première fois. D'un regard elle me demande de l'allumer, comme au billard je renvoie son regard au médecin qui dit : on l'allumera dans cinq minutes. Je comprends, elle ne sait pas encore; je suis surprise car je ne pensais pas que ça allait arriver si rapidement après mon appel à l'aide. pas ce jour là, pas comme ça. Je me dis d'abord que c'est bien parce que si c'était ce jour là, c'est que j'avais eu une bonne intuition de la chose. Et puis j'ai  peur de ce qui va suivre. J'ai envie de lui prendre la main, de leur prendre la main à tous les deux. J'ai envie de prendre l'interne qui est là aussi, dans mes bras parce qu'elle est un bébé docteur et qu'elle n'a pas du en vivre beaucoup, des moments comme ça. J'ai peur de la grande faucheuse que je sens dans le couloir. Oh je sais bien qu'elle est installée dans l'appartement et d'habitude je compose très bien avec elle mais le simple fait de sentir qu'elle va être évoquée me glace un peu. Suis je à ma place ? Je propose de les laisser seuls (ben voyons !!!), de sortir de la pièce pour que ma présence ne soit pas imposée mais décidée. l'un et l'autre me demandent de rester. OK. Il parle d'équipe de soignants et ce simple mot d'équipe m'allège. 

un peu solennel, les deux mains posées sur les deux siennes, les premiers mots sortent énergiques et un peu de traviole, comme quand on sait ce qu'on fait mais qu'on est quand même un peu ému. 

j'ai trouvé ça un peu brutal un peu violent. et puis la voix est devenue beaucoup moins forte, plus douce. De " Aujourd'hui nous devons parler et j'ai des choses à vous dire" il est arrivé à un très très délicat "dans quelques semaines ou dans quelques mois, vous ne serez plus là". C'était presque tendre, complice. Oh bien sûr, faut pas pousser hein. C'était aussi horriblement triste et injuste. mais il y avait dans sa voix, dans son regard posé sans discontinuer  sur elle une attention tellement bienveillante que c'en était supportable. D'ailleurs je crois que c'est comme cela qu'elle l'a reçu. Calme, résignée mais surtout, calme, elle a baissé le regard, fermé les yeux quelques secondes puis soupiré. Il lui parle de choix et de décision à prendre, finir sa vie à l'hopital ou à la maison. Il lui explique que c'est à elle de choisir. Il ne lui demande pas une réponse immédiate. A ce moment là de la discussion elle me regarde et le regarde lui. Je la connais par coeur, dans ce regard j'ai compris. "Êst ce que je comprends que vous avez choisi et que vous me demandez de donner votre réponse ?". C'est tellement particulier de savoir ce que l'autre va dire. Ces mois de communication non verbale, les regards bien-sûr, les inspire / expire et aussi quelques mots dictés lettre à lettre. Alors que parfois je choisis de lui faciliter la tache et j'anticipe en proposant des mots, là je pense que c'est différent. Je ne veux pas, je ne peux pas etre celle qui dit. Pour que sa décision ait le bon poids, les mots doivent sortir d'elle. Je prends la feuille de communication et je lui demande d'épeler un mot. M. (il me serait facile de proposer le groupe de lettres dans lequel se trouve la lettre M mais je m'applique en conscience à faire défiler les groupes dans l'ordre de toujours. elle arrive au M. Il me serait facile de dire maison. mais il est important qu'elle soit seule à parler à ce moment là. M...A...I...S...O...N...."Vous dites Maison". Oui. tendue vers le médecin et portée par le mot qui vient de sortir elle se recroquville alors dans son canapé et attend la suite. la suite ce sera une équipe de soins paliatifs à trouver et à mettre en place. La suite ce sera de nouvelles démarches et coordinations, la suite ce sera des questions et d'autres décisions à prendre encore.

(plus tard dans la journée la nouvelle viendra la heurter de plein fouet et un torrent de larmes dévalera la montagne, l'entourage ne comprendra pas. il y aura dans mes gestes pour elle, une consolation qu'elle seule sentira.

 

A plusieurs on est forts. Ensemble, autour, c'est mieux que seul.

 

Masque africain Collection Chtchoukine

masque africain collection Chtchoukine

 

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